LUTTE DE CLASSE DANS LA CAPITALE EUROPEENNE DU CHOMAGE:
LA BASSE-ANDALOUSIE 1995-1996
Loren Goldner
(Precis: Chantiers navals, Jisa, Puleva: trois grèves en Andalousie, la région européenne qui connaît le plus fort de chomage, après avoir été longtemps une terre d’émigration Comme dans le cadreplus général de l’Espagne, depuis le début des années 80, et en dépit de la propension des travailleurs à recourir à la violence et a des tactiques illégales, ces-luttes n’allèrent jamais au-delà des formes syndicales, contrairement aux luttes de la période 1975-1977. Ces luttes actuelles impliquent une classe ouvrière constituée dans les années 60 et 70, pour sa plus grande part âgée de plus de 40 ans, devant lutter pour conserver les emplois ou négocier le plus cher possible les licenciements.)
L’article qui suit traite d’ un certain nombre d’épisodes de la lutte de classe récente en Basse-Andalousie. Bien que ces luttes aient des caractéristiques régionales spécifiques, reliées au taux de chômage le plus élevé d’Europe (43% à Xérès [Jerez de la Frontera] et à Cadix [Cadiz) (1) et à l’exceptionnelle pauvreté (seulement quelques régions d’Europe-sont plus pauvres), elles se situent bien dans les modèles nationaux et internationaux.
L’Andalousie présente les caractéristiques de la crise mondiale actuelle. C’est le point de passage principal vers l’Europe des immigrants del’Afrique du Nord et de l’Afrique Noire, la grande masse d’entre eux trouvant mieux d’étre emprisonnés à Ceuta que de subir les vicissitudes économiques et sociales chez eux. L’Andalousie connaît un chômage massif et une précarité économique (34,8% au chômage et plus encore chez les jeunes) a une échelle inconnue ailleurs en Europe. On y trouve le même malthusianisme démographique. L’ ouvrier typique avec un travail permanent a quarante ans ou plus. En Andalousie (plus qu’ailleurs en Espagne, -et vraisemblablement plus que dans le reste de l’Europe et qu’aux Etats-Unis), la famille est la garantie d’un fragile ´ minimum de bien-être ª dans lequel six, sept personnes ou plus vivent sur un salaire ou une pension. (3)-
La gauche radicale et le mouvement ouvrier en Andalousie sont différents en bien des façons des organisations comparables à Madrid, Barcelone, aux Asturies ou au Pays Basque.
A l’opposé de ce qui se passait au Nord, le coup d’Etat de juillet 36 réussit presque immédiatement dans presque toute l’Andalousie et fut immédiatement consolidé par une vague de répression et d’exécutions des socialistes, communistes, anarchistes et de quiconque se trouvait associé à la République, une répression menée par des legionnaires espagnols dé Maroc et par des mercenaires marocains.
Bien que quelques militants réussirent à gagner dans la clandestinité les lignes républicaines et combattre dans la guerre civile, le radicalisme social andalou fut réprimé presque sans s’ être battu et, pendant vingt-cinq ans, dut s’enfoncer profondément dans la clandestinité.
Les raisons de la faiblesse du radicalisme andalou, confronté au coup d’Etat militaire fasciste, sont nombreuses et ont fait l’objet de maints débats. Bien des Andalous radicaux d’aujourd’hui expliquent cette écrasante défaite par la faiblesse inhérente à la décentralisation traditionnelle de l’anarchisme, en particulier en face de troupes d’élite ayant gagné leur expérience dans les guerres du Maroc des années 20 et capables d’utiliser efficacement, meme en petit nombre, un équipement supérieur.
Mais quelles qu’en soient les raisons, le résultat fut une discrète unité presque totale entre la gauche radicale d’avant 1936 et les courants qui commencèrent à réapparaître dans les luttes souterraines des années 60.
Néanmoins, presque en meme temps que la grève mieux connue des mineurs asturiens de 1962 imposait la première convention collective en Espagne depuis 1939, les travailleurs des caves de Jerez en imposaient une de leur côté. Dans les années 60, une organisation clandestine s’étendit dans les caves et vignobles de Jerez, et dans les chantiers navals de Cadiz et Puerto Real.
Les travailleurs de ces secteurs gravitaient plus autour de l’USO (Union socialista obrera, alors radicale), plutôt que vers les CCOO (Commissions Ouvrières, orientées vers le Parti communiste), mais un noyau d’anarchistes la CNT put aussi se constituer aux chantiers navals de Cadiz, (il pouvait même encore jouer un rôle dans les luttes de 1995, comme nous le verrons plus loin).
Après 1975 et la fin de la clandestinité, 1′ USO s’orienta nettement vers la droite et bien des militants de Jerez et d’ailleurs rejoignirent les CCO0, mais on en retrouva beaucoup à la CGT après sa scission d’avec la CNT. A Huelva, un noyau de jésuites et de maoïstes radicalisés lancèrent, dans le milieu des années 60, un Sindicato unitario (SU) (relié au PRT, marxiste-léniniste), qui existe encore aujourd’hui comme syndicat radical indépendant.
L’Andalousie, tout comme I’ Estrémadure et la Galice, a longtemps été une terre d’émigration. De la libéralisation de 1958 à la crise de 1973-75, cela signifiait l’émigration au nord de l’Espagne (Madrid, Barcelone) et au nord de l’Europe. Le développement de la crise et des possibilités d’émigration à l’étranger virent le retour à grande échelle de ces émigrés et un taux de chômage astronomique, depuis le milieu des années 70, sans qu’on en voie la fin.
L’Andalousie reste une contrée d’ émigralion intérieure avec environ 200 000 journaliers migrants avec les récoltes pendant des mois au ccws de l’année (4).
L, Andalousie, au sein de l’ Espagne, pèse d’un poids disproportionné dans les organisations de la gauche officielle. Même lors des élections nationales de mars 1996, gagnées par le Partido Popular (PP), conservateur, les votes pour la coalition Izquierda Unida (lU) du PSOE (5) et du PC réunirent 6l % des suffrages dans la provinœ de Cadiz et plus de 63% dans toute l’Andalousie. Un cinquième seulement de la population espagnole vit en Andalousie, et pourtant, l’Andalousie envoie un tiers des délégués au congrès du PCE en décembre 1995. Le gouvernement de PSOE de 1982 à 1996 comptait aussi une ´ présence andalouse ª disproportionnée (6).
Le PSOE règne en Andalousie au point que le terme “Napolitanisation” s’applique à son clientélisme hégémonique (7). Maitre de l’administration du PER et d’autres fonds régionaux et locaux, il peut mobiliser ses soutiens, comme en 1996, en exploitant la
´ peur de la droite ª. Ce pouvoir politique n’ est pas négligeable dans le contrôle des luttes ouvrières qui, de plus en plus, sont résolues à l’aide de fonds d’Etat dans la restructuration des entreprises et pour payer des retraites anticipées et des mises à pied.
La Lutte aux chantiers navals de Cadiz
(juillet-octobre 1995)
Une des luttes ouvrières la plus militante des récentes années en Andalousie a été la bataille autour des chantiers navals de Cadiz (8). Au plus fort de la dernière mobilisation, à l’automne 1995 les travailleurs et ceux qui les soutenaient ont combattu quatre semaines d’une sorte de guérilla avec la police des émeutes. 100 000 personnes participèrent à une manifestation de masse, et dans la nuit du 14 au 15 septembre, des milliers d’ouvriers occupèrent les rues de Cadiz.
Les travailleurs des chantiers navals luttent contre les licenciements depuis le milieu des années 80, partie des luttes contre la restructuration de l’industrie entreprise par le PSOE, qui touche les chantiers navals de toute l’Espagne. Dans les années de prospérité, autour de 1970, les chantiers de Cadiz et de Puerto Real (9) employaient directement 5000 ouvriers, et plus de 3 000 dans des industries locales auxiliaires. Après les luttes répétées, en 1995, il n’en restait plus que 2 100. Les syndicats dominants dans les chantiers (CCOO et UGT) accèptaient plan après plan, avec retraites et licenciements pour réduire les effectifs, alors que la CGT et la CNT, bien moins présentes, s’opposaient à toute négociation sur les licenciements (10).
La lutte de 1995 aux chantiers de Cadiz commença en juillet avec une journée de grève et la mobilisation de 100 000 ouvriers à l’annonce d’une nouvelle vague de licenciements par la Division de Construccion Naval (DCN), l’office gouvernemental qui administre les Astilleros EspanoIes.
De juillet à septembre, les ouvriers des chantiers bloquèrent le pont entre Cadiz et Puerto Real dans des grèves d’avertissement, en moyenne deux ou trois fois par semaine, au moyen de barricades enflammées. Le 4 septembre, les ouvriers envahissent la gare du Renfe et incendient deux wagons. Le 7 septembre, la police charge une manifestation à Séville, blessant deux manifestants.
Le 14 septembre 1995, le gouvernement de Madrid dévoile le brutal plan de restructuration -annoncé depuis longtemps -, fermant les Astilleros Espanoles de Cadiz et Séville (ce dernier employant 500 travailleurs), privatisant les autres chantiers d’Espagne (Vigo, Gijon et Santander) et réduisant les effectifs de 50 % (11). La nuit même, des milliers de travailleurs se révoltent à Cadiz, incendiant, se battant avec la police des émeutes venue dé Séville; le QG du PSOE à la Plaza de San Antonio est incendié. Des affrontements similaires se déroulent à Séville.
Dans la soiree du 15 septembre, quand la police regagne le contrôle de Cadiz, 10 agences bancaires ont été détruites, 20 boutiques endommagées, 86 incendies allumés, 80 feux de signalisation détruits et 134 poubelles incendiées ou utilisées comme barricades. Le 18, les bureaux des chantiers de Séville sont aussi détruits.
Dans la plupart de ces actions, les ouvriers reçurent le soutien direct des populations de Cadiz et Puerto Real qui, systématiquement, bombardaient la police avec dés objets lourds depuis les fenêtres d’appartements.
Mais, dès le début, la lutte était vulnerable face aux manipulations de la classe politique de Cadiz et d’Andalousie. La couverture médiatique dans le reste de l’Espagne et sur le plan international était réduite au minimum pour que cette lutte ne vienne pas troubler la campagne électorale nationale, et le gouverneur civil dé la province de Cadiz (PSOE), Cesar Brana, dénonça les émeutes comme une ´ sauvagerie injustifiée ª (12).
Mais la maire conservateur PP, Teofila Martinez, soutenu par tous les politiciens PP d’Andalousie et les membres de la hiérarchie ecclésiastique locale, habilement, soutinrent lemouvement (comme si un gouvernement PP à Madrid n aurait pas fait la même chose) et participèrent à quelques grandes manifestations, transformant ainsi le mouvement en une sorte d’union sacrée interclasses pour sauver la cité.
Les affrontements violents reprirent le 19 septembre, fermèrent le pont Carranza, traversant la baie de Cadiz, recevant le soutien de la classe ouvrière des alentours et combattant tout le jour sur le pont. La police des émeutes utilisait gaz et balles en caoutchouc, les ouvriers avec des frondes et jetant tout ce qui pouvait être jeté, grosses vis, boulons qui pouvaient percer les boucliers en plastique des flics et la visière plastique des casques.
Le même jour, les leaders du PSOE se rencontrèrent dans leur QG incendié et décidèrent qu’eux aussi, après tout, soutenaient les revendications ouvrières, mais ´ rejetaient fermement toute violence ª comme moyen de protestation. Le 23 septembre, la CNT de Puerto Real dénonçait justement le contrôle strict du mouvement par les CCOO et UGT. Les émeutes reprirent le 26 septembre – 3 ouvriers et 26 flics furent blessés -, même alors que les syndicats et le gouvernement se rencontraient à Madrid pour discuter de la crise. Cette fois, 1000 ouvriers de General Motors rejoigùaient la lutte, brûlant Felipe Gonzales en effigie. Les autoroutes et les voies ferrées furent bloquées par des barricades en flammes. Le 30 septembre, gouvernement et syndicats annoncèrent un accord. Les 1300 licenciements initiaux étaient réduits à 800, réalisés par des pré-retraites. En octobre, une large majorité de la base approuvait cet accord (13).
La lutte contre les licenciements à Jerez Industrial (lisa) (1995-1996)
En février 1994, l’imprimerie d’arts graphiques Jerez Industrial (Jisa) suspend le paiement d’une dette de 2 800 millions de pesetas (115 millions de francs) et annonce un plan de restructuration avec licenciement de 180 ouvriers stir 414 à Jerez de la Frcntera (14). Jerez Industrial fabrique des étiquettes et des cartonnages pour l’industrie du sherry Xérès qui, elle-même, a licencie des milliers d’ouvriers dans les quinze dernières années (15). En fait, trois gros producteurs de sherry possèdent la majorité des parts de Jisa et veulent imposer la même rationalisation qu’ils ont imposée dans leurs firmes. En avril 1995 pourtant, Jim cède à la pression syndicale (16) et accepte un nouveau plan avec 60 ouvriers partant en pré-retraite et 22 partant avec indemnités.
Pourtant, en septembre 1995, Jisa annonce de nouveau de lourdes pertes pour le premier trimestre et propose un nouveau plan de 132 licenciements. Le 28 septembre (alors que la crise de Cadiz est à son sommet), les travailleurs de Jisa brûlent le plan de restructuration sur la place principale de Jerez, annonçant leur intention de relier leur lutte à celle de deux autres fumes de la ville (Puleva et La Casera), aussi menacées de licenciements, dans une ´ mobilisation généraleª pour le 26 octobre (17). Le 30 septembre, les travailleurs de Jisa bloquent l’autoroute proche, premier de toute une série de blocages, avec des barricades enflammées (18).
Le comité de délégués accuse Jisa de provoquer la crise par une mauvaise gestion et d’avoir détourné des fonds dans la spéculation immobihère. II se déclare prêt à discuter un plan de reconversion industrielle, de réorganisation interne et d’améliorations techniques pour rendre la firme ´ compétitive ª (19). Le 7 octobre, les ouvriers de Jisa et de Puelva (une grande laiterie menaçant aussi de licencier [20]) enflamment des barricades devant les installations de Puleva. Le 14 octobre, l’autoroute est de nouveau bloquée (21). Cela débouche sur une manifestation imposante de tous les travailleurs de Jerez, le 26 octobre, revendiquant la fin des licenciements et s’affrontant quelque peu avec la police.
Malgré tout, le 19 décembre, les négociations avec Jisa sont rompues. Le comité des délégués accuse le conseil régional (Junta of Andalucia) (22) de les mener en bateau et pose clairement qu’il veut du travail et pas de départs indemnisés ou une coopérative mal équipée qui les laisserait à la rue dans deux ans.
Le 3 janvier le comité rencontre de nouveau les.dirigeants de Jisa pour une autre offre inacceptable. Peu après, les ouvriers se rassemblent et bloquent les négociateurs dans l’usine: ils doivent être délivrés dans la soirée par les flics. Les ouvriers de Jisa commencent alors une série de grèves.
Le 4 janvier, ils s’enchaînent devant les bureauxde Jisa, dans une autre partie de la ville. Le 8 janvier, l’usine était fermée par une grève d’une journée. Le 9 janvier, la gare de Jerez est fermée pendant deux heures, jusqu’à ce que la police arrive. Le 12 janvier, l’autoroute est de nouveau coupée. Quelques jours plus tard, les délégués et les officiels de Jisa se rencontrent sous l’autorité du conseil municipal, pour discuter d’une aide éventuelle a Jisa. Le nouveau plan prévoirait 80 retraites anticipées, 36 départs indemnisés pour les travailleurs de cinquante-trois ans et plus. Ces discussions tendent à politiser la lutte de Jisa en l’ incluant dans le schéma des élections régionales d’Andalousie prévues pour le 3 mars (en même temps que les élections nationales), alors
que le PSOE tente de redorer son image de parti de la classe ouvrière. A la fin de février pourtant, Jisa n’a pas pu réunir les 56 millions de pesetas représentant sa part dans les fonds affectés à la préretraite, et, le 12 mars, le règlement final de toute l’affaire est renvoyé après les elections. Dans cet accord final, signé en mai 1996, 80 ouviers de cinquante-trois ans et plus sont mis en pré-retraite et 36 reçoivent 7 750 000 pesetas (325000 F) d’indemnités de licenciement (23).
La lutte contre les licenciements
à Puleva (Jerez-Granada) (1994-1996)
La restructuration et le sauvetage de la laiterie andalouse Puelva est la moins intéressante et la moins violente des luttes dont nous parlons ici. A quelques détails près, cette lutte présente le même schéma que celle des chantiers navals de Cadiz et de Jerez Industrial : une firme annonce sa faillite et l’urgence de licenciements massifs, une mobilisation ouvrière (dans ce cas, impulsée par le CCOO) et un règlement avec moins de licenciements (208 dans ce cas), mieux indemnisés.
Comme à Jerez Industrial, tout commence par le moratoire des dettes (en avril 94). Cela finit au début de 1996, lorsque la Junte d’Andalousie contribue pour 730 millions de pesetas à un plan de restructuration coûtant 1 milliard de pesetas et mettant en pré-retraite 103 ouvriers avec 90% de leur salaire, 582 conserveront leur emploi.
Une fois tout cela acquis, Puleva annonça 3 milliards de pesetas de nouveaux investissements, sous l’égide d’un consortium bancaire espagnol et étranger.
CONCLUSION
Les trois luttes considérées (chantiers navals, Jisa, Puelva) doivent être replacées dans le cadre des luttes en Espagne qui ont dominé depuis la transition post-franquiste et le pacte de La Moncloa entre CGT, CCOO et le patronat, et particulièrement depuis que le gouvernement PSOE (1982-1996) a entamé son programme de restructuration industrielle au début des années 80. En dépit de la propension des travaillears à recourir à la violence et à des tactiques illégales, ces luttes n’ allèrent jamais au-delà des formes syndicales, contrairement aux luttes de la periode 1975-1977. On ne vit guère de conflits entre la base et les appareils syndicaux, comme dans cette première période. Ces luttes actuelles impliquent une classe ouvrière constituée dans les années 60 et 70, pour sa plus grande part âgée de plus de 60 ans, devant lutter pour conserver les emplois ou negocier le plus cher possible les licenciements.
Ceci est en soi-même un but bien comprehensible, mais les luttes autour d’un tel objectif n’ ouvrent en aucune façon une nouvelle perspective pour la classe ouvrière comme un tout Elles ressemblent, à leur façon, aux luttes mêmes plus militantes de l’Espagne, comme celle de Gijon (Asturies) qui, après onze années (1985-1996), réussirent à maintenir les chantiers navals ouverts, ou des luttes identiques contre la fermeture des mines asturiennes en 1992 (24). Bien que toutes ces luttes n’ aient pas abouti à un aussi bon résultat (comme celle contre les ,restructurations au pays Basque), des règlements n’ont été possibles que par le versement de subsides nationaux, régionaux et locaux, et par le soutien de la classe politique locale, que ce soit de gauche ou de droite, dans le but d’acheter la paix sociale au prix d’une plus grande dependance de l’Etat (25).
Elles obtinrent un large soutien du reste de la population ouvrière qui reconnaissent le caractère exemplaire de la lutte de cette relative ´ élite ouvrière ª travaiilant dans des industries qui représentent souvent (comme à Cadiz) la seule activité économique d’une ville…
A quelques exceptions près, il ne font rien pour combler le fossé grandissant entre la couche des privilégiés dé l’âge et le reste de la classe ouvrière, de plus en plus prise au piège du marché du travail temporaire et des ´ contrats de merde ª, contraints de vivre avec leurs parents (souvent les ouvriers eux-memes de cette couche privilégiée) jusqu’à leurs trente ans. Déjà, dans des régions comme les Asturies, une bonne partie des gens vivent plus sur les pensions que sur les salaires. Une telle situation ne peut durer éternellement et de telles solutions des conflits ne sont pas non plus acceptables éternellement par le capital. Finalement, ces luttes sont, en petit, une version des limitations meme de la grève générale en France, en novembre–décembre 1995. Dans tous ces cas, les travailleurs sont sur la défensive pour garder ce qu’ils ont ils veulent conserver le vieux ´ contrat social ª, alors que les capitalistes en sont déjà loin. Dans le meilleur des cas (comme pour les bus de Madrid), ils utilisent des tactiques qui fonctionnaient dans les périodes antérieures d’expansion capitaliste, mais qui fonctionnent de moins en moins.
Aucun régime capitaliste sur le continent européen n’est allé aussi loin que les Etats-Unis et la Grande-Bretagne pour briser le pouvoir des travailleurs de réussir de telles grèves sectorielles, mais on peut voir bien des indices que tous se préparent à le faire (26).
Le fait que les vieilles tactiques ne fonctionnent plus guère commence à etre compris en Andalousie et dans le reste de l’Espagne. Ce qui contribue à créer une polarisation entre les syndicats CCOO et l’UGT, d’une part, et d’autre part les syndicats plus petits – en Andalousie, ces syndicats incluent le SOC, CGT, CNT, SU et USTEA (27). Mais, alors que ces groupes peuvent gagner les élections syndicales et contrecarrer les syndicats dominants (28), ils neproposent, pour la plupart, aucun concept nouveau stratégique et tactique au-défà d’etre plus militant dans un cadre syndical qui n’offre rien a la masse des jeunes ouvriers atomisés par le cauchemar néo-libéral du chômage et des emplois temporaires.
(1) A Jerez dela Frontera, par exemple, 22,4% de tous les foyers vivent au ou au-dessous du seuil de pauvreté défini à 43000 pesetas (1750 F) par mois et par personne
(Diario de Jerez, 3 août 1996) que l’on peut comparer a la moyenne nationale de 86 000 pesetas (3 500 F) (Diario de Jerez, 4 février 1996). Le taux de chômage en Andalousie était de 34,9 % à la fin de 1995 (El Pais- Andalucia, 12 janvier 1995).
(2) Le Wall Street Journal du 12 avril 1995 publie un article sur Cadiz, présentée comme la capitale du chômage en Europe de l’Ouest.
(3) Ce qui suit ne prétend pas être définitif. Il provient de matériaux de différentes sources, avant tout des discussions avec des militants en Basse Andalousie (sud-ouest) en 1995-1996. II a été utilisé deux ou trois exemples spécifiques de luttes pour situer des tendances plus larges.
(4) Selon le PER (Plan de Empleo Rural), un journalier doit travailler 40 jours certifiés à des récoltes pour avoir droit à l’assurance chômage hors-saison. Ce système rend les ´jornaleros ª vulnérables à toutes sortes de manipulations et au clientélisme local, parce que chaque jour travaillé doit être certifie par la signature d’un employeur, ce qui, en pratique, est souvent obtenu par des combines. Le salaire contractuel pour une journée de 6 heures est de 4 200 pesetas (160F), mais horaires et salaires sont à la discrétion des patrons. Le SOC (Sindicato Obrem del Campa) a pu imposer les taux contractuels dans quelques endroits où il possède quelque influence; il a aussi organisé des actions directes (comme l’occupation de la gare de Santa Justa à Séville) contre les tentatives.d’ annuler le PER. En avril 1995, 190 677 journaliers ont perçu le chômage avec le PER, soit 44% de tous les Andalous inscrits au chômage (El Pais Andalucia, 24 décembre 1995). Presque immédiatement, après sa victoire électorale en mars 1996, le gouvernement PP annonça des plans pour ´ modifier ª le PER (El Pais Andalucia, 2 avril 1996).
(5) En supposant qu’un vote pour le PSOE puisse être considéré comme un vote pour la gauche. Le PSOE (Partido Socialista Obrero Espanol) a gouverné de 1982 à 1996.
(6) C’est souvent présenté comme la raison de la rareté de militants nationalistes aujourd’hui, alors même que c’est une des plus pauvres régions d’Espagne, alors que des mouvements nationalistes existent a des degrés différents au Pays Basque, en Catalogne, Galice et aux Iles Canaries.
(7) Selon le ministre du Travail et de la Sécurité Sociale, presque un quart de la population andalouse reçoit des subsides gouvernementaux (El Pais Andalucia, 24 décembre 1995);
(8) Astilleros Espanoles S.A. est l’entreprise d’Etat des chantiers navals qui opère dans différents ports espagnols.
(9) Puerto Real construit des navires alors que Cadiz aujourd’hui n’est utilisé que pour les réparations.
(10) Un thème répété dans les luttes d’Andalousie (tout comme dans le reste de l’Espagne) voit un affrontement entre les syndicats dominants (CCOO et UGT) et les syndicats plus petits, plus militants, autour du même type d’accord entérinant les licenciements. Lors des luttes discutées dans cet article (chantiers navals de Cadiz, Jerez Industrial et Puleva), soit les licenciements furent annulés, soit des indemnités substantielles furent versées avec le concours financier de la Junte d’Andalousie. La CGT et la CNT ont dénoncé ces règlements comme des subsides pris sur les fonds publics pour les employeurs, ce qui finalement ne leur coûtait pratiquement rien.
En outre, les CCOO et UGT furent plus d’une fois accusés de vendre les emplois dans ces négociations. En janvier 1995, il fut révélé que les CCOO, en 1992, avaient reçu 10 millions de pesetas (4 millions de francs) d’Elcano, entreprise d’Etat de la marine marchande, après avoir négocié 325 licenciements (El Mundo, 21 janvier 1995), et les CCOO et UGT furent accusés d’avoir reçu 11 millions de pesetas (4500000 F) de la firme suédoise SKF Espanola en 1994, après avoir négocié 110 licenciements et d’importantes réductions de salaires pour les travailleurs restant employés.
(11) Lors de cette annonce, le Comité de empresa (comité des chantiers) avait 11 délégués CCOO, 11 UGT et 3 CAT (Confederâcion Autonoma del Trabajo, survivant de la période de clandestinité et de transition) mais la CNT, bien que n’ayant aucun membre dans le comité, comptait environ 100 membres et maintenait une certaine présence.
12) Diario de Cadiz, 15 septembre 1995.
(13) Au printemps 96, 300 places furent offertes aux chantiers navals de Cadiz, comportant un programme de formulation: 4 500 jeunes postulèrent.
(14) Au début de la crise, Jerez Industrial opérait dans 8 usines en Espagne. Son plan de restructuration prévoit de concentrer toutes les fabrications à Jerez. Les militants CGT pensent que ta firme a trafiqué les comptes pour faire croire que les fabrications à Jerez meme n’étaient plus viables.
(15) La municipalité annonça son intention d’aménager 500 appartements dans les anciens chais, même alors que la lutte s’intensifiait (Diario de Jerez, 26 décembre 1995).
(16) Jisa était une des rares firmes de la province de Cadiz avec une sérieuse présence de la CGT (9 délégués sur 27) dans le conseil des délégués (9 respectivement à UGT et CCOO). En juin 95, la CGT augmenta son influence, gagnant la majorité dans le conseil.
(17) En 1995-96, d’autres luttes se défoulèrent aussi contre les licenciements dans une raffinerie de sucre (Ebro Agncolas) et une usine de boissons (La Casera).
(18) L’infatigable gouverneur PSOE de la province de Cadiz, Cesar Brana, n’hésita pas à rendre ces actions responsables de l’accroissement de la criminalité alors que la police était en masse détournée vers les luttes ouvrières. Il en appelait aux travailleurs pour utiliser des méthodes ´ plus pacifiques ª de lutte (Diario de jerez, 29 février 1996). II n’ envisageait pas un moment que ta criminalité était liée au chômage et à la précarité sur le marché du travail.
(19) Diario de Jerez, 1″ octobre 1995.
(20) Un bref récit de cette lutte ci-après.
(21) Le 21 octobre, la lutte à Jerez fut, tout comme à Cadiz, récupérée: l’union sacrée fut consacrée quand l’évêque de Jerez appela “tous les chrétiens” à montrer leur solidarité avec la mobilisation prévue pour le 26.
(22) Le gouvernement andalou regional jouait au médiateur entre les syndicats et Jisa.
(23) La moyenne des indemnités de licenciement en Andalousie est de 1 950 000 pesetas (environ 80 000 francs), soit 20 % de moins que la moyenne nationale espagnole (El Pais Andalucia, 9 décembre 1995). Ces chiffres montrent la position spéciale de ces trois luttes, dans lesquelles les indemnités de licenciement les plus basses représentaient cinq à six fois ces montants. Le nouveau gouvernement PP vise à abaisser le coût des licenciements, mais ce processus a déjà été engagé depuis des années, sous le PSOE, avec la prolifération des ´ contrats de merde ª (contratos de basura) dans un nombre croissant d’ emplois, particulièrement chez les jeunes ouvriers.
(24) Un cas quelque peu exceptionnel est constitué par les conducteurs de bus de Madrid, organisés dans la Plate-forme syndicale de l’EMT (PS). Contrairement aux luttes dont nous venons de parler, qui étaient défensives, la PS put utiliser sa position stratégique pour mener l’offensive et obtenir des gains sérieux, alors qu’ailleurs, les conditions de travail étaient laminées. La PS de l’EMT se sépara de CCOO après la grève des transports de Madrid, en janvier 1976. D’autres grèves furent menées en 1985, 1988 et 1989, où ils obtinrent 25% d’augmentation, ce qui leur valut les attaques de la gauche officielle, des CCOO et de I’UGT, à la Gauche Unie et au PC. Ces derniers du PCE appelèrent la PS un organisme “fasciste”, dans un tract de 1990, et le gouvernement PSOE tenta de leur coller sur le dos des liens avec I’ ETA. La force de la PS de l’ EMT était telle qu’en 1990, Felipe Gonzales lui-même dut soutenir le maire PP de Madrid contre les grévistes des transports. La PS mena trois grèves illégales en 1991. Mais leur activité fut la plus forte dans une greve de 64 jours en janvier-mars 1992, qui réussit à polariser tous tes partis politiques et les syndicats officiels de gauche, et pendant laquelle les représentants des CCOO et de I’UGT rencontrèrent Felipe Gonzales pour discuter d’une loi sur la grève. La grève de 1992 obtint la sécurité de l’emploi, bien que huit leaders furent licenciés et vingt-quatre autres jugés pour activité de grève (par un juge qui avait été le juriste des CCOO). La grève de 1992 vit un soutien international, et à Madrid même, l’aide des comités de quartier, de militants gauchistes et de marginaux.
25) Cela rappelle le soutien du maire PP de Cadiz, Teofila Martinez, aux ouvriers des chantiers navals, même après que la violence de masse eût explose.