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Critique de livre: Joe Hill. The IWW and the Making of a Revolutionary Working Class Counterculture,
Chicago, Charles H.Kerr, 2003 . Franklin Rosemont (en anglais) (Joe Hill Les IWW et la création d’une contre culture ouvrière) 

Loren Goldner

En ces jours de guerre sans fin au Moyen Orient et de Kerry contre Bush et de la politique visible aux Etats-Unis réduits apparemment à une droite et à une extrême droite, ce livre nous donne une grande envie de prendre la porte et d’organiser la lutte. Et je me sens bien pauvre pour le critiquer d’une façon quelque peu sérieuse.

Le livre est avant tout important pour toute une nouvelle génération d’activistes tentant dz se situer au milieu des décombres laissés par la “gauche” bureaucratique d’Etat du 20ème siècle ( sociaux démocrates, staliniens, tiers-mondistes, trotskistes) et les dernières idéologies en langue de bois. C’est bien réjouissant et réconfortant de trouver un tel livre qui place Hill et les IWW au même niveau qu’Apollinaire, Artaud, Frant von Baader, Bosch, Blake, Lester Browie, Byron, Dürer, Victor Hugo, Philip Lamantin, Man Ray, Monk, Gérard de Nerval,Charlie Parker, Erik Sati, Shelley, Vico et Hélène Wronski (1)et donne ainsi un bref répit pour reprendre haleine ( et Rosemont réussit à le faire sans effort comme si c’était une évidence) .C’était une véritable oeuvre d’amour d’assembler les bribes de la vie itinérante de Hill, de les relier entre elles et aux IWW et à l’ensemble de la culture politique radicale du 20ème siècle ( le livre est aussi abondamment illustré). Pour son inspiration initiale, Rosement eut la bonne fortune de découvrir les IWW en 1959 et de pouvoir alors rencontrer bon nombre d’anciens qui se rencontraient encore dans les bureaux des Wobbly (2) à Chicago ou à Seattle, quelques uns d’entre eux ayant connu personnellement Hill.

Avant d’aller plus avant dans ma critique, il me semble nécessaire d’évoquer ce que fut le travail de Rosemont. Il fournit au préalable une “revue de littérature” de référence avertissant qu’une histoire approfondie et totale des IWW est encore à écrire ( Rosemeont souligne qu’une telle tâche est rendue beaucoup plus difficile par la scandaleuse destruction par le gouvernement américain en 1917 de toutes les archives des IWW) . Il parle de la force des relations à Marx des IWW pratiquant l’auto-éducation des ouvriers dans des groupes d’études du Capital, ce qui était une pratique courante dans la vie de l’organisation.. Contrairement bien des militants de la gauche qui prirent la suite, les Wobblies “lisaient réellement et étudiaient Marx”. Leur histoire et sa dimension est étroitement mêlée à celle de Charles H. Kerr.(3) Alors que les avant-gardes gauchistes qui vinrent plus tard produisirent des oeuvres pour les travailleurs ( on doit admettre parfois de bonne qualité), les publications des IWW furent essentiellement “de et par” les travailleurs autant que “pour”. La plupart des Wobblies, selon Rosemont, rejetaient le “label syndical” et étaient considérés trop marxistes par la plupart des syndisalistes etr trop anarchistes pour d’autres courants du marxisme. Les IWW étaient “réellement informels, très ouverts, constamment rajeunis par de nouvelles énergies de la base” . Par la place éminente qu’ils accordaient toujours à la spontanéité, à la poésie et à l’humour, les IWW furent uniques da l’histoire du mouvement ouvrier. Ils en savaient “trop sur le travail pour être ouvriéristes”. Rosemont évoque aussi l’espace social qui s’organisa autour des salles de rencontre IWW répandues dans tous les Etats-Unis. Rosemont doit se mesurer au problème que bien des matériaux biographiques sur Hill sont bien maigres, bien qu’il ait été le hobo(4) le plus connu de l’histoire américaine. Sans que ce fut fausse modestie, Hill , d’après ses propres paroles n’avait “pas grand chose à dire sur sa propre personne”. Rosemont considère particulièrement – et justement – scandaleux le portrait tracé par Wallace Stegner (5) en 1948 montrant Hill comme un criminel de droit commun. Cet auteur tire une brève biographie d’une brassée de faits avérés, de quelques fortes probabilités et d’une montagne de réflexions académiques vaseuses et de suppositions plausibles sur la vie de Hill.. “Dans sa propre vie” écrit Rosemont” Hill était surtout connu pour sa poésie et ses chants” contribuant à bien des chants des IWW comme ils figurent dans le petit livre rouge des chansons des IWW. Alors que la presse des IWW était remplie de poèmes écrits par ses membres, les véritables “poètes Wobbly” n’ont jamais reçu aucune reconnaissance comme poètes. Les Wobblies chantaient aux meetings, pendant les grèves et dans leurs salles de réunions. Hill, comme tant d’autres Wobblies partit pour le Mexique lorsque se déroulait la révolution (6) Il participa à la grève de Fraser River au Canada en 1912 (7). Puis en janvier 1914 passé par Salt Lake City où il fut soupçonné du meurtre d’un épicier local, victime d’un coup monté et , en dépit d’une campagne de soutien internationale exécuté en décembre 1915. Ses funérailles à Chicago furent suivies par des dizaines de milliers; c’était la plus grande manifestation depuis les funérailles des martyrs de Haymarket en 1887 (8). Hill était un artiste: poète, compositeur , chanteur, peintre et caricaturiste. Une fois de plus , le rôle de la poésie et de la chanson dans la vie quotidienne et les luttes des IWW anticipaient sur les festivals de grévistes en mai 68 en France et était aux antipodes de l’atmosphère pesante des manifestations politiques de la gauche organisée depuis la première guerre mondiale: on ne le soulignerait jamais assez. Rosemont traite aussi séparément des mythes posthumes – positifs ou négatifs – qui ont obscurci la réalité historique. Hill ne fut ni un super militant sacrifiant toute sa vie, ni un petit voyou itinérant: comme Rosemont le souligne

le rôle d’organisateur du modeste Hill fut nourri par le culte aliéné du “leader” dans une organisation qui s’enorgueillissait du slogan anti-démagogique ” Nous sommes tous des leaders”. Rosemont montre sur la question raciale une louable nuance; c’est une des questions sur laquelle les IWW en leur temps allaient radicalement à contre courant de la culture réactionnaire dominante. “ Même Joe Hill n’était” écrit – il “n’était pas absolument sans reproches de ce point de vue” citant la chanson de Joe Hill “Scissor Bill” qui attaquait l’ouvrier blanc pour sa haine raciale, attribuant à Scissor Bill une série d’épithètes excessivement racistes qui “néanmoins “ dans n’importe quel rassemblement mixte Noirs et Blancs pouvaient seulement provoquer tant chez les chanteurs que chez les auditeurs”. Personne ne conteste que les IWW atteignirent les sommets de leur influence dans la décennie avant la première guerre mondiale avec Jim Crow (9); quand le président Woodrow Wilson (10) , un “progressiste” apôtre convaincu de la suprématie blanche et qu’ils allèrent beaucoup plus loin en attaquant le problème blanc américain que n’importe quelle organisation ouvrière auparavant ou depuis lors.. Sa convention fondatrice fut dédiée par une provocatrice Lucy Parson (11) aux ancêtres noirs et indiens à une époque où l’AFL (American Federation of Labor) (12) soutenait ouvertement la législation anti asiatique et quand la plupart des syndicats affiliés à cette confédération avaient une clause explicite” les Blancs seuls admis”. Les IWW accueillaient les travailleurs de toute couleur et de nationalités dans ses rangs. Covington Hall, poète,, organisateur et agitateur qui participa aux batailles des IWW dans l’industrie du bois en Alabama faisait lutte ensemble Blancs et Noirs en plein cœur du Jim Crow South. Les IWW étaient aussi forts parmi les dockers noirs de Philadelphie, Baltimore et d’ailleurs. Rosemont ( qui est aussi l’auteur d’une très bonne brochure ” Karl Marx et les Iroquois ” (13) que l’on trouve sur le net) montre comment les IWW, dans leurs relations avec les Natives américains et leurs attitudes envers eux , étaient plus en concordance avec la sensibilité d’un Marx dans ses ” Notes ethnologiques ” (14) ( alors inconnues et encore peu connues aujourd’hui)) que jamais ne le furent les sociaux démocrates, staliniens ou trotskistes ( Rosemont admet que rien n’est connu des positions de Joe Hill sur ce sujet). Pourtant ce qu’on sait , c’est que Hill posséda un grand talent, en pleine période d’hystérie anti-asiatique avec le ” péril jaune ” pour préparer de la cuisine chinoise. Rosemont cite les témoignages directs de ceux qui participèrent à des camps d’hobos, Wobblies” particulièrement égalitaires et anti-racistes “. De la même façon , les Wobblies étaient bien en avance sur leur temps quant à la question féminine avec bien des femmes au premier plan dans leurs rangs, même si quelquefois ils eurent tendance à décrire les ” filles rebelles ” comme étant là pour soutenir le moral des ” garçons rebelles “. Ils parlaient ouvertement de la prostitution comme étant le produit de la misère de la classe ouvrière. Ils combattaient la religion ” le paradis dans le ciel ” tout en ayant hérités quelque peu du millénarisme des sectes protestantes de la période précédente. Rosemont a particulièrement des vues pertinentes sur la manière dont les capitalistes utilisèrent les hommes de mains et les gangsters contre les locaux des IWW, ce qui amena un développement du gangstérisme aux Etats-Unis, une fois que les élites locales eurent autorisé les gangsters à se déchaîner contre les organisateurs IWW dont ils ne savaient pas trop comment se débarrasser et à prendre leur prébende dans les pillages d’une manière permanente.. Dans les matériaux que livre Rosemont, on trouvera un intérêt particulier sur les relations entre les IWW et le parti communiste américain ( le ” Parti Comique ” comme les Wobblies l’appelaient) Quand les IWW glorifiaient de toute évidence la Révolution Russe en 1921, ils étaient déjà soupçonneux pour l’étatisme grandissant en Russie. On peut citer ici les texte même de Rosemont : ”  Pour les IWW , le parti communiste était devenu une des pires choses qui firent irruption dans le mouvement ouvrier américain.. Les Wobblies connaissaient la différence entre les élites clandestines du parti et la masse des adhérents. Ce fut l’expérience amère des Wobblies avec les leaders du parti, la prétendue avant-garde qui les conduisit à conclure que le parti communiste n’était pas du tout une véritable organisation ouvrière mais un parti politique d’une classe moyenne désespérément autoritaire, néo byzantine dans ses structures hiérarchiques et bureaucratiques totalement dominée par une élite intellectuelle bourgeoise parasitaire “. Rosemont fournit aussi des matériaux sur les Wobblies qui en tant que membres de l’AFL et plus tard du CIO poussaient vers un syndicalisme social révolutionnaire. Plus intéressant encore est son récit des innombrables actes de violence perpétrés par les staliniens contre les éléments les plus radicaux du mouvement ouvrier aux Etats-Unis , lesquels , Rosemont le souligne ne ”  sont presque jamais mentionnés dans les livres sur le radicalisme américain “.

Passé le pic de l’influence de masse des IWW dans la classe ouvrière, Rosemont montre que les Wobblies ont eu une conscienc précise de ce qu’on appelle aujourd’hui l’écologie, dont on trouve le reflet dans les lettres de Hill. Rosemont retrace de même l’influence ultérieure des IWW depuis la Beat Generation ( surtout à travers Gary Snyder) (15) à la littérature populaire.. Et de nouveau la poésie : “Pour moi , à dire vrai, et pour beaucoup de mes amis aussi , la poésie était d’une importance vitale lors de notre entrée sous les bannières des IWW . L’histoire du syndicat et l’accent constant mis sur la poésie et la chanson nous ont immédiatement impressionné comme une des qualités décisives qui en font un cas unique dans le mouvement ouvrier et les organisations de gauche. Et nous avons raison.. Que les IWW aient inspiré plu et de meilleure poésie que tous les autres syndicats ne le distingue pas seulement de tous les autres syndicats mais aussi nous en dit beaucoup su le monde qu’ils essayaient de construire ” Cette dimension poétique propulse l’influence des IWW dans l’avant-garde moderniste comme cela apparaît dans les livres de Big Bill Haywood (16) à Greenwich Village (17) ou les artistes du Village qui travaillèrent en 1913 sur le Paterson Pageant (18) lors de la célèbre grève de New Jersey.. Rosemont saisit aussi une autre dimension jours de gloire des IWW dans un chapitre sur l’art perdu des harangues dans des lieux publics, élément central de leurs campagnes et dénommées par Vachel Lindsay ” le grand vaudeville ” ( 19).

Maintenant, quelles sont les réserves, et j’insiste secondaires, qui peuvent apparaître dans mes critiques du livre de Rosemont, La première réserve concerne un recours irritant à une sorte ” d’argumentation spécieuse ” liant Joe Hill aux thèmes plus généraux que Rosemeont ( à juste titre pourtant) essaie d ‘aborder. Joe Hill fut au Mexique pendant quelque temps lors de la Révolution mexicaine. Rosemont peut écrire, parmi onze pages très intéressantes sur les IWW et le Révolution mexicaine ” Et quel rôle Joe Hill y joua ? Là, comme da ns presque partout dans la biographie de Joe Hill, l’absence de détails précis est patente et frustrante “. Joe Hill alla à Hawai en 1911 mais Rosemont écrit au milieu d’une discussion fort intéressante sur l’activité des IWW dans cette île ”  Quoiqu’aucun document ne révèle ce que fit Joe Hill à Hawai, il est virtuellement certain qu’il y visita d’autres représentants des IWW. Considérant ce que nous savons de son activité ailleurs, il me paraît vraisemblable de penser qu’il apporta son concours à l’agitation syndicale à Hawai. Et il n’est pas impossible que ce concours y fut beaucoup plus important que ce quiconque pouvait l’avoir espéré . Après 1911, de toutes façons, Hawai devint un des lieux d’une forte agitation des Wobblies “. Rosemont écrit neuf pages excellentes sur les IWW et les Natives américains (20) C’est une fois de plus l’interrogations : ” Et Joe Hill ?  Ici , c’est le noir total. Nous n’en savons pas plus des opinions de Joe Hill sur la ” question indienne ” que nous n’en savons de ses opinions sur la neuvième de Beethoven ou Don Quichotte ou la pensée de Li Po(21) : c’est à dire rien du tout “. Sur les talents de Joe Hill quant à la cuisine chinoise : ” Dans un tel climat de haine, proclamer sa passion pour la cuisine chinoise et son habileté à utiliser les baguettes peut être qualifié comme des actes de dissidence et de défi . Je n’essaie pas de donner une autre dimension à de tels détails. Je tente de comprendre comment les simples gestes de Hill ne peuvent pas être considérés comme des actes de grand courage ou d’une visée révolutionnaire et qu’ils ne nous disent pas grand chose sur ses pensées réelles. Neanmoins, de tels petits signes personnels non politiques de non-conformisme ne doivent pas être écartés ; sûrement , ils comptent pour quelque chose dans le schéma plus large de l’ensemble “. Sans aucun doute. Et je pourrais continuer ainsi. Un ami indulgent m’a suggéré que vu le petit nombre de faits connus sur la vie de Joe Hill, Rosement fut comme un archéologue reconstituant toute une période historique avec quelques morceaux de poterie. Et dans bien des endroits du livre , cela fonctionne effectivement. Seulement , Rosemont ne pose jamais la question fondamentale sur les IWW. Qu’est ce qui fonctionna mal chez eux ?> Non seulement maints des auteurs qu’il cite ont écrit valablement sur des épisodes radicaux oubliés ou peu connus comme C.L.I. James ( dans Notes sur la dialectique ou dans Facing Reality ) (22) ou Peter Linebaugh (23) et Marcus Rediker ( co auteurs dans ” l’Hydre aux mille têtes “) (24) mais Rosemont n’apporte aucune explication de la défaite des IWW. Dans notre période morose, on n’a guère besoin de s’appesantir sur des défaites. Particulièrement après l’effondrement du soi-disant ” bloc soviétique ” ( les vrais soviets n’existaient plus en 1921), toutes les alternatives vaincues du début du 20ème siècle au ” socialisme ” bureaucratique d’Etat vinrent au grand jour, avec de l’anarchisme au syndicalisme des figures comme Rosa Luxembourg ou Bordiga, mais rien aussi clairement que les IWW ( et pas seulement aux Etats-Unis)

Mais si nous devions projeter dans notre temps ce que furent les IWW de 1905 à 1924, je trouve tout autant impératif et urgent nous devons comprendre pourquoi il a connu cette éclipse. Qu’est-il arrivé à ce groupe extraordinaire de ces gens que, pour tenter de la savoir, nous devons regarder 90 – 100 ans en arrière ? Le livre de Rosemont est un météore brillant qui s’abîme dans un paysage triste et déprimant comme un astéroïde oublié . Mais si nous croyons que tout s’inscrit dans un processus historique, nous somme bien forcés d’admettre que , pour étrange que cela paraisse, il n’y a guère d’analyse historique dans les 640 pages d’un livre choc rempli de faits et de reconstruction passionnée de la vie de Hill et des IWW et de bien d’autres. Par exemple, est-ce que les trotskistes déraillent lorsqu’ils disent que les IWW furent éclipsés par le parti communiste parce que les Wobblies n’avaient aucun perspective politique cohérente alors que le PC de Lénine et Trotsky à ses débuts en avait une ? Pourquoi cela se produisit ? Pourquoi dans les années 30 , le mouvement de masse était le PC et non les IWW ? Rosemont présente des brassées de faits précis avec des aperçus sur le développement d’une contre culture ouvrière révolutionnaire. Il semble abusif de demander à un tel travail de dire quelque chose sur l’économie, les changements technologiques, la vaste mutation de l’Etat capitaliste de 1890 à 1945 ou sur le triomphe à partir des années 30 des idées de Mark Hanna, Owen Young et Gerard Swope (26) pour les grands syndicats d’industrie parmi les grands capitalistes ou finalement sur l’impact de la culture de masse ( radio , cinéma et plus tard télé) et de l’éducation de masse sur le chant populaire et la poésie qui ont pu jouer un rôle dans la fin des IWW. Bien des points ainsi soulevés ne sont même pas mentionnés dans le livre. Rosemont attaque Dibovsky (27)et autres universitaires pour prétendre que les IWW étaient déjà sur le déclin en 1919 et leur opposer que ce fut en 1924 mais il ne consacre pas une seule ligne pour tenter d’expliquer ce déclin. La crise de 1920 ( associé avec le ” péril rouge “) a balayé les syndicats dans tous les Etats-Unis. Quel impact cette vague a eu sur les Wobblies ? Rosemont ne le mentionne aucunement.. Il souligne avec brio l’importance du chant et de la poésie pour le mouvement des IWW ,, d’accord, et alors ? Mais qui peut dire qu’un recueil de chansons et de poésie puisse aujourd’hui jouer un rôle  et être le point de départ d’un mouvement ? La plupart des gauchistes ne peuvent même pas chanter un couplet d’ l’Internationale.. Rosemont parle de Joe Hill comme étant encore bien vivant et connu de la classe ouvrière, mais je pense que pas un seul des étudiants d’origine ouvrière que j’ai rencontré à New York alors que j’enseignai dans un cours d’adultes avait jamais entendu parler des IWW , encore moins de Joe Hill.. Rosemont écrit au milieu de ce quie st considéré aujourd’hui comme une sous-culture et l’élève au niveau d’une culture de classe.. Naturellement, étant donné la dimension de ce qu’il réussit à faire, Rosemont n’est pas obligé de répondre à bien des questions sur ce qui arriva après le fin des IWW. ( il semble pourtant concéder à regret dans quelques endroits de son livre que cela en fut ainsi). Mais il n’a pas écrit pour la présentation des antiquités, mais , on peut le présumer pour inspirer le présent et le futur. Quand j’ai eu terminé le livre avec l’exaltation qu’il pouvait inspirer, j’aurais voulu , une fois de plus me précipiter dehors et me mêler à la foule des travailleurs pour que cette vision devienne une réalité de notre temps ; mais je me heurtais à un mur ou tombai dans le vide. C’est pourquoi j’ai posé les questions que je viens d’aborder sur les limites de ce voyage mystérieux et magique jamais posé comme un problème. Devons – nous supposer que les dizaines de milliers de ces gens sublimes se rassemblèrent de 1905 à 1924et tout autant mystérieusement se dispersèrent ou furent dispersés ? Bien plus de travailleurs ne rejoignirent pas les IWW que ceux qui le firent : qui étaient-ils, et pourquoi ne le firent-ils pas ? Pour tracer quelque voie permettant de saisir la spécificité des IWW, de ses forces et de ses faiblesses au regard des forces qui le reléguèrent dans l’oubli, peut-être la seule voie serait de rendre sa poésie potentiellement contemporaine.. LG

NOTES

(1)  Parmi les auteurs et artistes cites, certains sont bien connus et il est aise de les retrouver si l’on veut en connaaitre plus (Apollinaire, Artaud, Bosch, Blake, Byron, Duerer, V. Hugo, Man Ray, G. de Nerval, Charlie Parker, Erik Satie, Shelley) . Nous ne donnons ci-apres que quelques references sur les moins connus :
Franz X. von Baader (1765- 1841) Theosophe allemand inclassable qui developpa des theories sur la corporalite et    l’antagonisme (R. Susini – F.von Baader et le romantisme mystique – Paris – 1942). Baader a aussi invente le mot « proletariat » pour les « classes dangereuses»
Lester Bowie : musicien de Jazz ( trompette) de l’avant-garde de Chicago des annees 70
Philip Lamantia : poete americain, adoube par Andre Breton comme le « Rimbaud de la deuxieme moitie du XX siecle, personnage de la poesie beat des annees 50
Monk  Thelonius, musicien de jazz ( piano) des annees 50.
Hoene-Wronski : Messianiste et esoteriste romantique polonais qui habitait Paris dans les annees 30 et 40 au 19eme siecle, considere par beaucoup comme le modele du personnage du roman de Balzac « A la recherche de l’absolu»
Giambattista Vico : juriste italien “preromantique” du 18eme siecle, precurseur de Michelet , Marx et Joyce, connu pour son affirmation que l’ Histoire est un « factum» c’est a  dire faite par les hommes.

(2)  Wobbly ( pluriel Wobblies) nom donne  a ceux qui se rattachaient aux IWW  (Industrial Workers of the World). Il y a peu d’ouvrages exhaustifs et complets en francais sur les IWW. Mentionnons « Les IWW , le syndicalisme revolutionnaire aux Etats-Unis » , Larry Portis, Spartacus et  les pages qui leur sont consacres dans « Une histoire populaire des Etats-Unis de 1492 à nos jours , Howard Zinn, ed. Agone)

(3)  Charles H. Kerr, maison d’edition du mouvement ouvrier etablie a  Chicago a  la fin du 19eme siecle qui edita ( la premiere aux  Etatrs-Unis le « Capital» de Marx en anglais ; apres un long declin, renovee par Rosemont et quelques camarades.

(4)  Hobo – nom donne aux travailleurs migrants aux Etats-Unis en suivant les chantiers autour de la premiere guerre mondiale, travailleurs non qualifies et qui se deplacaient d’un bout a  l’autre du pays par tous les moyens notamment en « empruntant» les trains de marchandises ( souvent au prix de leur vie, on compte pres de 50.000 hobos morts dans des accidents ferroviaires de 1900 à 1905) tout en developpant une grande solidarite des exclus. Voir l’ouvrage de Nels Anderson – Le Hobo, sociologie du sans-abri , Nathan (essais et recherches), 1993 traduction de l’original en anglais paru en 1923

(5)   Wallace Stegner : romancier americain mediocre du milieu du 20eme siecle, auteur d’une etude tres malveillante sur Hill en 1948

(6)  Revolution Mexicaine : la dictature de Porfirio Diaz et la « modernisation» du pays avec une large penetration economique des Etats-Unis se fait au depens des paysans dont les structures communautaires sont detruites au profit des grands proprietaires fonciers ; en 1912, 80% des paysans sont des « sans-terres» les peones, veritables esclaves des Haciendas ( voir ouvrages de Traven disponibles en Poche). La revolution se deroula dans une periode de grande confusion de 1910 à 1914 qui vit l’affrontement entre les chefs rebelles Villa et Zapata et se termina par le retablissement de la l’egalite bourgeoise avec l’intervention determinante des Etats-Unis

(7)  Fraser River Strike : D’apres le nom du fleuve Fraser de Colombie Britannique (Canada) pres de la cote Pacifique le long duquel était construite la ligne de chemin de fer transcanadienne pour la Canadian Northern Railroad Company  avec l’aide de sous-traitants qui exploitaient les migrants dans des conditions terribles proches de l’esclavage. En 1912, les IWW  organiserent ces travailleurs (plus de 8.000 adherent) et la greve eclata sur les chantiers de Fraser River en mars 1912. Le mouvement s’etendit sur  plus de 800 km tout au long de la ligne, jusqua’ux Etats-Unis avec des innombrables piquets pour prevenir l’embauche de jaunes. Elle se termina par la repression violente habituelle contre toute greve dans cette periode heroique du mouvement ouvrier americain.

(8)   Dans le cadre d’actions diverses pour la journee de 8 heures, debut mai 1886, des greves se developperent notamment a  Chicago. La police intervint tirant sur les grevistes – tuant et blessant maints travailleurs. Ce qui declencha des actions plus determinantes. Lors d’un rassemblement a  Haymarket Square a  Chicago, une bombe fut lancee contre les flics qui venaient disperser la manifestation : la police ouvrit le feu de nouveau tuant et blessant maints manifestants. Il s’ensuivit une vague d’arrestations notamment dans les milieux anarchistes. Sept d’entre eux furent condamnes a  mort dont 4 furent pendus sans qu’aucune preuve put etre retenue contre eux. Ensuite se developpa une vague reactionnaire hysterique dans tout le pays. Ces evenements tragiques devinrent le symbole des luttes dans la celebration mondiale du premier mai.

(9)   Jim Crow – terme meprisant pour designer les  Noirs americains d’apres le nom d’une chanson basee sur un fait reel. Jim Crow South designe tout le sud americain ex-esclavagiste, raciste et segregationniste.

(10)  Woodrow Wilson (1856-1924) president des Etats-Unis de 1913 à 1921 qui poussa et presida a  l’entree des Etats-Unis dans la premiere guerre mondiale. Idealiste,  il tenta de lancer une collaboration mondiale pour la paix avec la Societe des Nations mais fut desavoue dans ces efforts  par ses propres partisans.
(11)  Lucy Parsons : militante exceptionnelle du mouvement ouvrier americain a  partir des annees 1870, metisse de parente noire et indienne, veuve d’ Albert Parsons, un des « martyrs de Haymarket», participa  au congres fondateur des IWW en 1905 ;

(12) AFL-CIO . C’est la « grande» federation syndicale americaine resultant de la fusion en 1956  de l’AFL (American Federation of Labor) ( dont le refus d’admettre les travailleurs non qualifies fut une des causes de la formation des IWW) et de la Federation des syndicats d’industrie CIO ( Congress of Industrial Organisations) fondee en 1933 pour regrouper les travailleurs de tout ordre, specialement ceux non admis l’AFL ( en partie en reponse etatique et patronale au developpement des IWW)

(13)  « Karl Marx et les Iroquois » texte en anglais de F. Rosemont qui peut etre trouve sur Internet sur le site <www.geocities.com/cordobabakaf/marx_iroquois.html>

(14)  Native – nom donne partout aux populations originaires des territoires d’un Etat – souvent non Blancs – par opposition aux immigrants – les plus souvent ex-colonisateurs . Aux Etats-Unis s’applique plus specifiquement aux membres des tribus indiennes

(15)   Marx avait ecrit differents textes sur l’ethnologie qu’il projetait de publier avant sa mort. On peut trouver ces textes en anglais dans l’ouvrage « The Ethnological Notebooks  of Karl Marx” Assan 1972.

(16)  Beat Generation , mouvement litteraire et de mode de vie tres influent des annees 50-60 aux Etats-Unis dont les principaux animateurs furent Kerouac, Ginsberg et Burrough. Gary Snyder fut l’un d’eux dont Kerouac et Ginsberg disaient qu’il etait « le type le plus fou et le plus intelligent que nous ayons jamais rencontre”.

(17)  Big Bill Haywood, militant mineur de fond qui quitta l’AFL pour devenir l’un des fondateurs des IWW  en 1905

(18)  Greenwich Village – en plus court le Village, quartier de New York  à l’Ouest de Manhattan , refuge des artistes et ecrivains qui passe souvent pour le ghetto des intellectuels.

(19) Paterson Pageant : spectacle organise a  New York en 1913 lors de la grande greve de Paterson ( New Jersey) pour faire connaitre la greve, collaboration exemplaire entre l’avant-garde new-yorkaise (l’idee en fut lancee par John Reed) et les militants des IWW qui organisaient la greve.

(20) Vachel Lindsay (1879-1931) poete americain en rupture avec l’academisme et la mievrerie.

(21) Li Po , poete chinois (700-762) dont les themes poetiques tournent autour de l’amitie, de la nature, du vin et des femmes.

(22)  C.L.R. James ( alias Johnson) , voir dans ce meme bulletin le texte sur ses positions et la tendance politique qu’il anima.

(23)Linebaugh Peter, historien americain contemporain influence par E.P. Thomson et par l’ouvrierisme italien, auteur de l’excellent livre « The London Hanged » (1992) et avec Marcus Rediker de « The many-headed Hydra » (2000) (L’Hydre aux mille tetes)

(24)Marcus Rediker : historien americain contemporain, auteur d’une etude sur les pirates du 18eme siecle « Between the devil and the deep-blue sea» (1987) (Entre le diable et la grande bleue) et avec P.Linebaugh de « The Many-headed Hydra» (L’Hydre aux mille-tetes) (2000)

(25)Mark Hanna : senateur de l’Etat d’Ohio a  partir des annees 1880, capitaliste eclairee qui revendiquait la creation de syndicats industriels cinquante ans avant la formation du CIO , ceci pour empecher une veritable radicalisation du mouvement ouvrier aux Etats-Unis ; pionnier du corporatisme.
(26) Owen Young, : PDG  de General Electric dans les annees 20, un autre pionnier du corporatisme, en faveur d’un syndicat independant dans sa propre entreprise. Architecte du Plan Young (1929) qui fournissait des credits pour la stabilisation de l’Allemagne.

(27) Gerard Swope : cadre de haut niveau de General Electric a  l’epoque de Young qui invita l’AFL a  organiser un syndicat a  General Electric pour prevenir que «  d’autres gens moins aimables ne le fassent » ; a  l’epoque du New Deal, porte- parole eminent d’une concertation economique entre le patronat et les syndicats dans le style du fascisme mussolinien.
(28)  Dubovsky Marvin, historien americain auteur d’une histoire mediocre des IWW « We shall be all”  (1973)

 

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